Laisser agir la couleur

Se concentrer sur la couleur isolée, laissant agir sur soi la couleur seule, comme le disait Kandinsky (dans Du Spirituel dans l'art), beaucoup de peintres en auront rêvé au XX^e siècle…

La tradition du monochrome illustre en partie la poursuite de cet idéal inaccessible, une couleur libre de tout emprisonnement dans une forme, pure passion en liberté. Mais il faut bien que la couleur s'inscrive sur ou dans quelque chose, ne seraient-ce que les contours du tableau, si l'on veut ne pas se contenter de prononcer son nom ou de l'imaginer pure.

Et qu'elle voisine avec d'autres couleurs, ne seraient-ce que celles de la réalité environnante. Les grands artistes de ce que le fameux critique américain Clement Greenberg appelait la Post Painterly Abstraction (l'expression est délicate à traduire, mais « abstraction après le pinceau » ne serait pas la pire hypothèse pour essayer de la rendre en français) avaient imaginé apprivoiser le rêve en laissant couler la couleur à même la toile, en minces rigoles, méandres ou lacs apaisés : Helen Frankenthaler, Morris Louis… C'est à cette famille que se rattache Alice Mauchamp.

Elle ne dessine ni avec, ni dans la couleur : elle l'élève, comme on le ferait d'un organisme vivant, la laisse vivre sa vie dans le pré de la toile, sans les barbelés du dessin, s'épanouir, surprenant ça et là un écho avec telle ou telle forme de la nature, celles que l'on observe de très haut (du hublot d'un avion) ou de très près (par la lentille d'un microscope).

De sorte qu'Alice Mauchamp est à peine abstraite : peut-être paysagiste d'après le pinceau…

— Didier Semin
Professeur à l'École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris